Dans l’ombre des hommes : Femmes, sœurs et filles de…
Auteur : Nathalie Richard
Jusqu’en 1950, les amatrices qu’il est possible d’identifier sont le plus souvent associées à un homme. Elles sont des « femmes », des « sœurs » ou des « filles de… » et illustrent en premier lieu un phénomène bien étudié par les historiens des arts et des sciences, celui des couples producteurs d’œuvres ou de savoirs. La pratique des sciences en couple permet de concilier la recherche et l’idéal qui assigne les femmes de la bourgeoisie au foyer. Elle se décline de multiples manières, chez les savants professionnels, comme chez les amateurs. Et si le couple formé par Pierre et Marie Curie constitue un contre-exemple qui peut masquer la réalité, dans la plupart des cas, la reconnaissance scientifique est asymétrique et va à l’homme plus qu’à la femme.
Le savant et son assistante
Dans beaucoup de couples savants, les rôles sont inégaux et de nombreuses épouses et filles jouent des rôles d’assistantes ou d’auxiliaires.
Dans le domaine de l’astronomie, on peut citer l’exemple de Gabrielle Renaudot (1877-1962), seconde épouse de Camille Flammarion, le fondateur de la Société astronomique de France (fig. 1). Fille d’un sculpteur reconnu et titulaire d’une licence, elle s’intéresse à l’astronomie et adhère à la Société astronomique de France en 1902. Elle épouse le célèbre vulgarisateur et astronome amateur en 1919 et assure auprès de lui un rôle de secrétaire et d’assistante pour certaines observations. Elle contribue à ses côtés à l’animation de la Société astronomique de France et à la vie de son périodique L’Astronomie. Autrice d’ouvrages, d’articles et d’illustrations d’astronomie ou d’histoire de l’astronomie, elle reste toutefois dans l’ombre de son époux.
Parfois les couples ne le sont pas à l’état civil, mais résultent d’une vie savante commune. Ils sont constitués d’un savant masculin, parfois professionnel, et d’une assistante féminine bénévole jouant le rôle de petite main ou de secrétaire et vivant dans une relation quasi maritale avec le « grand homme ». L’Écossaise Mary Boyle (1881-1974) en est un exemple connu. Aspirant à une carrière littéraire, elle rencontre en 1920 l’abbé Henri Breuil, le préhistorien français le plus célèbre de son temps, et consacre le reste de sa vie à le seconder dans ses recherches (fig. 2). En France, à partir de 1924, elle donne des conférences sur la préhistoire et publie sur le sujet des brochures de vulgarisation. Mais elle est surtout une « petite main », qui aide l’abbé Breuil dans la réalisation des relevés d’art pariétal, contribue à la mise en forme et à l’édition des manuscrits, réalise des traductions. Bien qu’elle soit associée pendant plus de trente ans aux recherches du célèbre préhistorien, qu’elle discute et impose parfois des interprétations, elle n’est pas considérée comme co-autrice des publications. Mais, au contraire de nombreuses autres femmes anonymes qui ont œuvré dans l’ombre de scientifiques reconnus, au moins le nom et la vie de Mary Boyle nous sont-ils connus.
Couples d’amateurs en sciences
Dans d’autres couples en sciences, l’activité savante est plus équitablement répartie, si bien que des épouses et filles réussissent parfois à se faire une réputation, mais sans se faire un nom, puisqu’elles restent connues sous le patronyme de leur mari ou de leur père.
Ainsi Marthe Péquart (1884-1963), archéologue amatrice, fouille avec son époux Saint-Just plusieurs sites préhistoriques dans le Morbihan en Bretagne puis au Mas d’Azil (Ariège) (fig. 3). Entre 1915 et 1944, les époux consacrent plusieurs mois de l’année et une partie de leur fortune à leur passion pour l’archéologie. Fouilleurs amateurs, mécènes et collectionneurs, ils intègrent les réseaux régionaux et nationaux de la discipline. Ils sont tous les deux membres de la Société préhistorique française. Ils publient les résultats de leurs recherches en signant de leurs deux noms et figurent le plus souvent tous les deux sur les photographies et les films pionniers en 16 mm réalisés sur leurs chantiers de fouilles.
Les couples peuvent aussi associer un père et une fille, à l’image de Léon et Germaine Henri-Martin (1902-1975) (fig. 4 et 5). Fille de l’archéologue amateur Léon Henri-Martin, qui fouille le site de La Quina (Charente) à partir de 1911, Germaine s’initie à ses côtés à la recherche préhistorique. Après le décès de son père en 1936, elle poursuit seule les recherches en reprenant les fouilles et en assurant l’animation du laboratoire du Peyrat, créé par Léon à proximité du site de La Quina et rattaché depuis 1925 à l’École pratique des hautes études. Devenue ainsi une chercheuse reconnue, dirigeant un lieu où se forment et se rencontrent de nombreux préhistoriens français et étrangers de l’entre-deux-guerres, récompensée pour ses recherches par une médaille de bronze du Centre national de la recherche scientifique, Germaine Henri-Martin n’en reste pas moins une amatrice, aux marges des institutions professionnelles. Elle n’est nommée maîtresse de recherches au CNRS qu’en 1963 à l’âge de 61 ans. Elle incarne bien la figure de « l’amatrice malgré elle » qui n’accède que tardivement, voire jamais ou post-mortem, à la reconnaissance.
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