Présentation - Perleuses - Le travail féminin dans l’industrie des perles en verre à Venise et en France

Autrices : Anna Bellavitis et Louise Bonvalet

Image 1-Enfileuses de perles : Venise, 1900, carte postale This file is licensed under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license

Les badauds de Venise de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle rencontraient dans certains endroits de la ville des enfileuses de perles, comme sur cette carte postale. Les descriptions de la ville de l’époque ne manquent pas de les mentionner. Par exemple, dans la Chronique mondaine du 13 octobre 1906, on pouvait lire : « l’imprévu de toutes ces calli, ruelles exiguës, sans cesse coupées de ponts en dos d’âne, où l’on croise les porteurs d’eau avec leurs chaudrons reliés par un arc posé sur l’épaule, les dentellières, les enfileuses de perles assises devant leurs portes »[1]. Ces enfileuses, appelées à Venise impiraresse, faisaient non seulement partie du paysage vénitien, mais ont également éte des actrices majeures dans l’industrie vénitienne des perles en verre.

Venise ne fut pas la seule productrice de perles en verre. A l’époque moderne, dans un contexte de globalisation des échanges, une concurrence entre Venise et la France s’instaure. Les perles en verre étaient alors des marchandises d’échange intercontinentale, permettant le commerce avec les autres continents, ainsi que des échanges en lien avec la traite des esclaves. C’est pour prendre part à ce commerce aux dimensions globales que d’autres lieux de production se développèrent, dont la Normandie.

 

[1] La Chronique mondaine, littéraire & artistique : journal hebdomadaire, 13 octobre 1906, pp.1-2.

Image 2 : ensemble de perles du XVIIIe siècle. Joey Leblanc 2018, Creative Commons 4.0 (by-nc-nd). Les perles en verre produites à Venise étaient envoyées vers les autres continents. Ces perles produites à Murano au XVIIIe siècle ont été retrouvées dans des fouilles de la ville de Québec.

Production et échanges continuent au-delà de l’époque moderne, au XIXe et aussi au XXe siècle. Les perles en verre étaient encore utilisées comme monnaie d’échange, notamment en Afrique, mais elles servirent aussi à orner les corps, les habits, les accessoires religieux et rituels, comme nous le voyons sur ces photos montrant des objets provenant d’Amérique du Nord et d’Afrique.

Image 3 : Collier (Odigba Ileke Ifa), 1900s, Guinea Coast, Nigeria, Yoruba people, Cleveland Museum of Art  Creative Commons CC0 1.0 Universal Public Domain Dedication

Image 4 : Corning Museum of Glass's: "35 Centuries of Glass" gallery : perles en verre de fabrication vénitienne, venant d’Afrique occidentale (XIXe siècle). Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International

Image 5 : T’suu Tina dress, 1900, Glenbow Museum, 130 9th Ave S.E., Calgary, Alberta, Canada  Creative Commons CC0 1.0 Universal Public Domain Dedication

Image 6 : Perles en verre fabriquées au Ghana Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license.

La très riche bibliographie sur le sujet s’est intéressée surtout aux techniques de production et au commerce, mais a négligé le travail féminin. Dans des modalités différentes selon les lieux et les époques, les femmes ont été ouvrières mal payées, maîtresses de métier, artisanes indépendantes et même inventrices à la Renaissance ou militantes d’avant-garde dans les manifestations ouvrières au XXe siècle. Leur importante présence fut facilitée par le fait que certaines techniques de fabrication et certaines étapes de la production pouvaient être réalisées à domicile.

Ces ouvrières sont le sujet de cette exposition : celles qui ont permis à l’industrie de se développer, mais aussi celles qui ont été trop souvent oubliées par l’historiographie.

Étudier le travail des femmes dans l’industrie des perles en verre signifie s’intéresser à un secteur qui, bien que n’étant pas celui du textile, nécessitait, aux yeux des contemporains, des qualités « naturellement féminines » comme la minutie et la patience. Comme la plupart des travaux exercés par les femmes, la fabrication et surtout l’enfilage en colliers des perles en verre étaient considérés des activités peu spécialisées, alors qu’il fallait une certaine habileté pour tenir des dizaines d’aiguilles en éventail dans une main et les ‘plonger’ dans un récipient, en vénitien appelé sessola – le même mot qui indiquait l’outil qui servait à vider les bateaux remplis d’eaux – pour y ‘pêcher’ des perles extrêmement fines. Le travail était mal payé, mais les ourvières ne manquèrent pas de réagir, organisant, à Venise comme en France, des grèves pour demander – et parfois obtenir – des améliorations salariales. Montrer ces femmes également lorsqu’elles se mettent en grève nous permet de voir leur capacité d’action.

Un patrimoine culturel immatériel de l’humanité

Suite à une campagne menée conjointement, entre 2017 et 2019, par deux associations, vénitienne et française, de producteurs[2] : le Comitato per la Salvaguardia dell'Arte delle Perle di Vetro Veneziane https://www.arteperlevetro.org/home et les Perliers d'Art de France https://perliersdartdefrance.orgl’art de la perle de verre fait partie, depuis 2020, du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO[3]. L’UNESCO insiste sur l’importance de la transmission et la préservation des savoir-faire[4].

L’exposition a été conçue et préparée par Anna Bellavitis et Louise Bonvalet dans le cadre du Projet RIN-Recherche Émergente-2022-2024 : PerMA : Production et commerce des perles en verre de la Méditerranée à l’Atlantique, XVIe-XXIe siècle, financé par la région Normandie.

 

[3] "Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité" de l'UNESCO (Décision du Comité intergouvernemental 15.COM 8.B.34) https://ich.unesco.org/fr/RL/l-art-de-la-perle-de-verre-01591. Cinq grands « domaines » y sont distingués : les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel ; les arts du spectacle ; les pratiques sociales, rituels et événements festifs ; les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ; les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel.

[4] « L’artisanat traditionnel est peut-être la manifestation la plus matérielle du patrimoine culturel immatériel. Cependant, la Convention de 2003 se préoccupe davantage des savoir-faire et des savoirs que suppose l’artisanat que des produits artisanaux eux-mêmes. Au lieu de se concentrer sur la préservation des objets artisanaux, les efforts de sauvegarde devraient plutôt s’attacher à encourager les artisans à en poursuivre la production et à transmettre à d’autres leurs savoirs et leurs savoir-faire, en particulier au sein de leur communauté ». (https://ich.unesco.org/fr/artisanat-traditionnel-00057).